“Mississippi” de Sophie G. Lucas (La Contre Allée, 2023)

« Mississippi » est le premier roman de la poétesse Sophie G. Lucas. Exercice parfois périlleux, il arrive cependant à se loger entre la fresque historique et romanesque à l’envergure aussi majestueuse que vertigineuse, et l’écrit sec, tendu, travaillé et aiguisé d’une langue qui dit les failles, chocs et cicatrices.

Écriture haletante. Proche du corps et de la respiration. Saga familiale certes, mais où le récit pénètre le derme des protagonistes pour se dire au rythme des souffles et des affects, pour dévoiler les drames et les répercussions des secousses passées et présentes dans les chairs et les esprits. Mississippi, fleuve mythique s’il en est, vient habiter les imaginaires et creuser un sillon dans les crevasses des cerveaux déjà remplis de rêves et d’espoirs.

Sophie G. Lucas adopte une plume liquide tout en filaments - cours d’eau - et brisures, cassures - rapides, rocailles massives qui crée des turbulences et remous. De part son rythme changeant et comme alternatif, l’autrice donne à voir le cahot de nos petits navires sur lesquels nous faisons notre vie, cahin-caha, et les vagues déferlantes causées par une mentalité prédatrice et le caractère belliqueux des forces en présence.

C’est aussi l’occasion, à travers cette traversée des âges, des années 1830 aux années 2000, de revenir en filigrane sur le narratif de l’être européen, prospère, colonial, motivé par la promesse d’un progrès sans fin et d’un confort toujours amélioré. Si Bruno Remaury est absent de cette rentrée littéraire (après 4 belles années de bons et loyaux services), on retrouve par moment son regard et ses analyses dans ce «  Mississippi  » fougueux, rempli des émotions et élans de ses contemporains, à travers différentes tempêtes.

Une lecture importante de l’automne 2023 assurément, un texte qui chamboule, bouscule, emporte aussi comme un voyage à travers l’océan, et résonne encore à nos oreilles comme les vagues une fois rentré au sec.

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