“Epépé” de Ferenc Karinthy (Zulma, 2013, 2021)
On vous plante le décor. Budaï, héros de notre affaire, linguiste de son état, prend l'avion pour se rendre à Helsinki afin d'intervenir dans le cadre d'un congrès. Le sommeil faisant son affaire, le voilà qu'il descend dans une ville qu'il ne connaît pas, entouré d'une foule qui s'exprime dans une langue qu'il ne comprend pas, et dont l'écrit semble indéchiffrable à ses yeux, dans un premier temps du moins. La belle affaire ! Le voilà donc pris au piège, soudainement transporté dans un bain de foule vers son hôtel, d'où il tentera de trouver des indices afin de fuir cette ville et cette situation ô combien délicate (et bien oui, le monsieur doit prendre la parole à Helsinki, rappelez-vous !).
"Epépé" est une lecture qui nous a été d'une immense fraîcheur. Si kafkaïen pourrait être une manière de la décrire, l'humour et l'ironie ne sont jamais bien loin derrière son aspect résolument labyrinthique. Budaï déchiffre, Budaï est dérouté, mais jamais nous ne nous sentons assaillis, oppressés, toujours dans l'attente et auprès de lui dans sa quête de sens, les neurones en surchauffe, son aventure nous questionne sur une myriade de sujets.
Parce que oui, "Epépé" c'est aussi l'occasion de réfléchir sur ce qui constitue une langue, sur la manière dont elles s'écrivent et dont elles véhiculent du sens. Difficile également de ne pas voir dans le portrait de cette ville qui n'est que flux, marées humaines, attente et empressement, la dépiction du vécu urbain poussé à son paroxysme, dans une société de consommation qui aurait elle-même atteint, comme dirait l'autre, et pour le coup cette fois-ci, sa forme finale.
Alors jetez-vous sur "Epépé", c'est terriblement bien écrit, traduit par les descendants de l'auteur eux-mêmes, Judith et Pierre Karinthy. Vous risquez bien d'aimer vous-mêmes vous perdre avec Budaï.